Pour sa première exposition en France, la photographe Alexandra Hedison se joue des ambiguïtés entre réel et imaginaire, entre peinture et photographie, survolant la surface d’une réalité première ou nous faisant au contraire pénétrer au travers d’une multitude de reflets dans les profondeurs de l’image.
L’exposition The In Between présentée dans l’espace de la H Gallery nous fait découvrir la série Found Paintings, des photographies prises lors des déambulations parisiennes de l’artiste. Fascinée par les vitrines de magasins en travaux recouvertes de blanc de Meudon, un procédé n’existant pas aux Etats-Unis, Alexandra Hedison voit dans ces devantures de véritables peintures. Elle arrive à y capter l’énergie du geste qui les habite et qui renvoie à l’effervescence même de la ville.
Face à ces surfaces en devenir qui gardent les traces de l’activité des ouvriers qui, par mégarde ou pour laisser entrer un peu de lumière, créent des brèches dans le blanc de la peinture, Alexandra Hedison nous place dans son propre positionnement de photographe. Elle nous invite à ressentir les sentiments qui la traversent lorsqu’elle appuie sur le déclencheur de son appareil. Par un jeu de miroir créé à la fois par la vitrine et par l’objectif, l’image du spectateur comme celui de la photographe renvoie non à l’intérieur du magasin mais à son propre environnement. L’artiste nous place dans un espace en retrait de l’animation de la ville, dans son double photographique. Elle ouvre ce champ supplémentaire qui, de manière éphémère, accueille notre image. Une image qui, quand nous marchons, existe dans de multiples espaces à la fois, vitrines, vitres de véhicules,…
Une démultiplication qui se retrouve dans la vidéo qui clôture l’exposition où les différents degrés d’ouverture des fenêtres de l’immeuble du café Le Conti renvoient à cette idée de surfaces multiples et mouvantes qui capturent notre image. Elle nous donne aussi ce sentiment que l’on peut pénétrer dans l’intériorité même de la ville et, à travers elle, dans un nouvel état de perception. Une vidéo qui, d’une certaine manière, retranscrit la posture du photographe arpentant la ville au ralenti, sans se laisser happer par sa frénésie, afin de mieux en capter l’effervescence, la respiration, le rythme.
La lecture des photographies d’Alexandra Hedison se fait de façon sensorielle. Nous sommes d’abord frappés par la matérialité de la surface, sa dimension picturale, son grain que restitue un papier photographique mat. Le fini velouté du tirage sur papier muséal donne le sentiment d’être face à un épiderme avec ces cicatrices, ses accidents évoqués par la présence de rubans adhésifs ou d’affiches déchirées collées sur les vitrines. Des photographies qu’elle développe sans jamais en retoucher le contenu mais en faisant seulement varier l’échelle. Alexandra Hedison traduit par cette ambiguïté du médium photographique celle-là même de l’ouvrier qui fait inconsciemment oeuvre sur les vitrines par des gestes qui marquent aussi le caractère transitoire de toute chose, le passage d’un état à un autre, d’un temps à un autre, ce coup de gomme sur le passé qui annonce un renouveau. Des motifs se forment, prennant parfois l’accent des estampes d’Hokusai, du traitement des nuages de Caspar David Friedrich ou d’Eugène Boudin.
Par moments, ses photographies rejoignent, par leurs tons bleutés et chromes captant la diffraction de la lumière sur les surfaces, les visions utopiques de la ville du futur telle qu’elle était imaginée dans les années 50, en apesanteur, débarrassée de la lourdeur de son architecture de béton. Alexandra Hedison saisit dans ses photographies ce moment rare, poétique, où s’ajustent parfaitement la lumière, le mouvement, et le support. Et si l’on parle souvent de papier photosensible, il y a chez la photographe cette conscience de l’instant, cette idée que l’oeil est sensible à l’instant qui se révèle à elle. Elle saisit avec une infinie justesse ce moment de bascule annonciateur d’un éternel recommencement et qui nous rappelle notre condition d’êtres transitoires, que nous sommes seulement des passants sur terre comme dans la ville.